Discours
de Louise Arbour |
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Présentation
de Louise Arbour, Haut commissaire aux Droits
de l'Homme des Nations Unies
Conférence
internationales sur les droits humain des LGBT
Montréal,.
le 26 juillet 2006
Monsieur le Maire,
Monsieur le Ministre de la Justice,
Madame et Monsieur les co-présidents de la Conférence,
Madame la co-secrétaire générale
et Monsieur le co-secrétaire général
de l’International Lesbian and Gay Association
(ILGA),
Mes chers amis,
Je suis très heureuse de me joindre à vous
ce soir, à l’ouverture de cette importante
conférence, et je remercie très sincèrement
les organisateurs qui m’ont fait l’honneur
de m’inviter à prendre la parole.
Je voudrais avant tout vous inviter a
réfléchir sur certains thèmes
qui animeront sûrement vos débats dans
les jours à venir, à savoir, en particulier,
le rôle de l’Etat dans la protection des
droits fondamentaux de la personne humaine et surtout,
la portée, et les limites, du droit international
en la matière.
J’ai fait mes études de
droit ici, à l’Université de Montréal, à la
fin des années soixante et je considère
avec fierté que mes racines juridiques et intellectuelles
sont bien ancrées dans cette société qui
vous accueille aujourd’hui. C’est
en effet à la fin des années soixante
que le Québec redéfinit son identité en
même temps qu’il s’ouvre sur le monde. De
façon plus large, le Canada tout entier est
alors prêt à répondre à l’effervescence
des premiers baby boomers revendicateurs.
En 1969, le Parlement canadien complète
une réforme importante du Code criminel et abolit
les sanctions pénales touchant les actes sexuels
auxquels s’engagent en privé des adultes
consentants. Il faudra attendre presque 15 ans
pour que les dispositions de la Charte constitutionnelle
des droits et libertés touchant l’égalité et
la non-discrimination entrent en vigueur et deviennent
les assises d’un régime juridique qui
reconnaît aujourd’hui sans réserve
les droits des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles
et transgenres (« LGBT »). De plus,
l’année dernière, le Parlement
canadien rendait possible le mariage entre personnes
du même sexe.
L’orthodoxie juridique soutient
que le droit est rarement en avance sur la société et
qu’il s’agit d’une discipline par
vocation conservatrice et lente à refléter
l’évolution des mœurs. Permettez-moi
de remettre en question cette prémisse et de
vous inviter à croire avec moi que le droit – et
particulièrement ce droit qu’on appelle
toujours à Genève les droits de l’homme – est
le forum privilégié pour la création
d’un régime universel de protection de
l’égalité et du particularisme
qui sont au cœur même de la dignité de
l’être humain.
L’évolution du droit canadien – le
passage de la protection de la vie privée a
l’égalité substantive – n’est
pas unique, mais, soyons clairs, cette évolution
ne reflète pas encore la position du droit international
tel qu’il existe aujourd’hui.
A l’heure actuelle, plusieurs pays
ont une constitution qui contient des clauses explicites
interdisant la discrimination sur la base de l’orientation
sexuelle. C’est le cas, par exemple, en
Afrique du Sud, en Équateur, au Portugal, en
Suède et à Fiji. Dans d’autres
pays, des lois ordinaires interdisent une telle discrimination,
en particulier en ce qui concerne l’accès à l’emploi. Enfin,
certains Etats reconnaissent maintenant les unions
civiles de partenaires de même sexe, alors que
d’autres acceptent leur mariage.
Mes chers amis,
Je ne vous parle pas ce soir principalement
en tant que juriste québécoise et canadienne. Je
vous adresse la parole avant tout comme représentante
des Nations Unies où mes fonctions me mandatent
de protéger et de promouvoir tous les droits
humains, à l’échelle mondiale. Il
est clair que le processus et la rapidité d’évolution
du droit international diffèrent du contexte
domestique. Je crois cependant sincèrement
en la capacité du droit international des droits
humains de contribuer de façon importante au
plein respect des idéaux reflétés
dans la Charte des Nations Unies, et en particulier à « favoriser
le progrès social et instaurer de meilleures
conditions de vie dans une liberté plus grande ». Ceci
dit, il faut être conscients de l’ampleur
de la tâche.
L’organisation des Nations Unies
sert essentiellement en tant qu’organe normatif
de ses Etats membres. Le monde entier y est
donc représenté dans toute sa diversité. La
légitimité et la crédibilité du
droit international des droits humains, tel que reflété dans
les divers traités, coutumes et institutions,
découle plus du consensus qui résulte
d’un compromis entre ces diverses cultures que
de l’adhésion à une doctrine théoriquement
cohérente. Sur des questions controversées,
telles que la protection légale offerte aux
personnes LGBT, certains États sont avant-gardistes
alors que d’autres se refusent même à aborder
la question.
Dans ce contexte hautement polarisé,
la qualité du débat est aussi importante
que le résultat qui en est attendu. Des
milliers de personnes sont à risque chaque jour
en raison de leur identité, préférence
ou pratique sexuelles. Dans notre recherche du
cadre approprié de protection universelle des
personnes LGBT, nous devons éviter à tout
prix que le débat dérive de sa substance
et sombre dans un dialogue de sourds entre soi-disant
doctrinaires étroits d’esprit d’un
côté, et prétendus dépravés
de l’autre.
A l’heure actuelle, la majorité des
pays membres des Nations Unies ne reconnaissent pas
l’orientation sexuelle comme motif prohibé de
discrimination. Plus de 80 pays maintiennent
des lois qui criminalisent les pratiques homosexuelles. Cette
réalité rend tout consensus politique
aux Nations Unies très difficile à atteindre.
Cependant, les institutions composées
d’experts indépendants qui supervisent
la mise en œuvre du droit international des droits
humains reconnaissent de plus en plus la discrimination
contre les personnes LGBT comme une violation des droits
de la personne humaine. Dans le cas bien connu
de Toonen c Australie, le Comité des
droits de l’homme, dont les membres experts sont
chargés de la surveillance du respect des obligations
contenues au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, a conclu qu’une loi qui
criminalisait des actes homosexuels violait le droit à la
vie privée.
Le comité a également interprété le
mot ‘sexe’, dans l’article du Pacte
traitant de la non-discrimination, comme incluant l’orientation
sexuelle. Dans un autre cas contre l’Australie,
le Comité des droits de l’homme a conclu
que nier certains bénéfices aux partenaires
de même sexe, alors que ces mêmes bénéfices étaient
accordés aux couples hétérosexuels
non-mariés, allait à l’encontre
de la garantie contre la discrimination. Le Comité des
droits économiques, sociaux et culturels a quant à lui
inclus l’orientation sexuelle comme motif prohibé de
discrimination dans certaines Observations générales
récentes, ainsi que dans des Observations finales
relatives à la situation des droits de l’homme
dans certains pays.
C’est justement dans cette rencontre
entre le travail normatif des États et les fonctions
interprétatives des instances internationales
composées d’experts qu’un terrain
d’entente peut commencer à émerger. En
effet, bien qu’aucun document onusien adopté par
les Etats membres ne prohibe explicitement la discrimination
sur la base de l’orientation sexuelle, il demeure
que le principe de l’universalité exige
que tous les êtres humains puissent jouir en
tout temps de tous les droits, y compris du droit à la
nourriture, à l’éducation, à des
soins de santé de qualité, à une
demeure, au travail. Comme plusieurs d’entre
vous le savez, le Brésil, avec le soutien de
quelques autres pays, a tenté de saisir la défunte
Commission des droits de l’homme de la problématique
de la discrimination basée sur l’orientation
sexuelle. Cette initiative a rencontré une
résistance obstinée, parfois même
hostile, de la part de certains pays. Parmi les
Etats qui ont des standards domestiques élevés
pour la protection des personnes LGBT, plusieurs ont
refusé de s’engager à faire étendre
cette protection au niveau international.
Ceci étant dit, et tel que le
travail des organes de traités des Nations Unies
le démontre, le droit international des droits
de l’homme n’est pas figé dans le
temps; au contraire, il est en constante évolution. Ce
processus lui-même peut contribuer à faire évoluer
les normes au niveau national et à stimuler
un débat sérieux, professionnel et respectueux. Encore
une fois, bien que le consensus politique ne soit pas à notre
portée à court terme, je crois que nous
pouvons générer suffisamment de volonté politique
pour commencer à se préoccuper sérieusement
des questions de protection, et à répondre
ainsi aux besoins les plus aigus d’une communauté à risque.
Dear Friends, Colleagues and Participants,
While this normative, political,
and social evolution unfolds, it is imperative to
remain attentive and responsive to the plight of
LGBT persons whose daily life is negatively affected
by the current environment.
Let me turn then to the question
of criminalization. Of the more than 80 countries
that prohibit sexual relations between consenting
adults of the same sex, seven make homosexual activity
punishable by death. Others prohibit gender
reassignment surgery for transsexuals or require
intersex persons to undergo such surgery against
their will.
There is no doubt that these laws
violate international human rights standards when
the sanction is death or corporal punishment, since
the sentence is grossly disproportionate to the offence
and violates the right to life or to freedom from
torture. But, regardless of what sanction is
imposed, such laws can be said to violate the right
to privacy, as the Human Rights Committee found in
the Toonen case. The European Court of Human
Rights also concluded that laws criminalizing homosexual
activity violate this right.
The right to privacy is often defined
as the right to be left alone. Cast in a more
positive light, it reflects not simply a dichotomy
between the public and the private sphere, but a
genuine public interest in preserving a space in
which the state must not intrude. It protects
the family and the home, but most importantly those
special and unique characteristics that define our
existence, including our sexual identity. As
such, this right is closely related to the protection
of life, human dignity, and mental and physical integrity.
There is
an obvious difference between criminal activities conducted in secret and activities
that should not be penalized when conducted in private. The difference
is reflected in the harm caused, or likely to result from that activity.
Many courts around the world have
found that consenting adults who engage in same sex
behavior do not infringe the rights of others and
cause no harm that would justify the intervention
of the State. For instance, the South African
Constitutional Court found that:
“Outside of regulatory control,
conduct that deviates from some publicly established
norm is usually only punishable when it is violent,
dishonest, treacherous or in some other way disturbing
of the public peace or provocative of injury. In
the case of male homosexuality however, the perceived
deviance is punished simply because it is deviant.
It is repressed for its perceived symbolism rather
than because of its proven harm.”
There is a paradox in our attitude
to privacy: some see no problem when a State, in
the absence of any proven harm, tramples on privacy
in cases of homosexuality, but find no contradiction
when the same State is reluctant to violate the sanctity
of the private sphere in instances of extraordinary
harm, such as domestic violence against women and
children, a scourge that blights the lives of many
in every country of the world.
Striking a balanced approach to the
right to privacy is made even more complicated by
the fact that attitudes to privacy are often shaped
by culture or religion, and thus by deeply held beliefs. It
is therefore important to stress that freedom of
religion is a right that also protects the freedom
not to share in religious beliefs or be required
to live by them.
Whether in authoritarian or in democratic
states, laws tend to be designed to demand conformity
to the norm. Harmless conduct that does not
comply with the norm may therefore require either
constitutional or other forms of overriding protection. Under
the broad and ill-defined mantle of “culture” States
may fail to recognize the diverse voices within their
own communities, or may deliberately chose to suppress
them. Such an approach stems from an ossified
vision of culture, however, which ignores the indisputable
transformation of social mores as well as the obligations
to promote tolerance and respect for diversity required
by human rights law as core aspects of the right
to privacy.
In my view, respect for cultural
diversity is insufficient to justify the existence
of laws that violate the fundamental right to life,
security and privacy by criminalizing harmless private
relations between consenting adults. Even when
such laws are not actively enforced, or worse when
they are arbitrarily enforced, their mere existence
fosters an atmosphere of fear, silence, and denial
of identity in which LGBT persons are confined. I
suggest that even when states assert a duty to promote
moral, religious or cultural values, they must exercise
considerable restraint in doing so through the use
of the criminal justice system.
Neither the existence of national
laws, nor the prevalence of custom can ever justify
the abuse, attacks, torture and indeed killings that
gay, lesbian, bisexual, and transgender persons are
subjected to because of who they are or are perceived
to be. Because of the stigma attached to issues
surrounding sexual orientation and gender identity,
violence against LGBT persons is frequently unreported,
undocumented and goes ultimately unpunished. Rarely
does it provoke public debate and outrage. This
shameful silence is the ultimate rejection of the
fundamental principle of universality of rights.
Impunity for crimes of violence against
LGBT persons suggests that, in many societies, they
are seen as less deserving of the protection of the
law. In the final analysis, their lives are
seen to be worth less, along with the lives of others
whom society unjustly rejects because of their faults
or flaws, real or imagined. In the face of
that reality, the responsibility of the State to
extend effective protection is, if anything, heightened.
States have a legal duty to investigate
and prosecute all instances of violence and abuse
with respect to every single person under their jurisdiction. Excluding
LGBT individuals from these protections clearly violates
international human rights law as well as the common
standards of humanity that define us all.
As I conclude, let me comment on
the role of human rights defenders. I recognize
that many LGBT human rights organizations work in
extremely difficult circumstances. They are
denied freedom of association when the authorities
shut them down, or otherwise prevent them from carrying
out their work. They are physically attacked
when they organize demonstrations to claim their
rights. Many have even been killed for daring
to speak about sexual orientation. They are
denied access to important fora, including at the
international level, where they should be able to
have their voices heard.
And yet, despite these obstacles,
you do and must continue to press for change at all
levels. At the national level, it is largely
through your legal advocacy that laws which discriminate
against LGBT persons will be repealed and laws that
offer better protection of their rights will be put
in place. It is through your social organizing
and education that stereotypes will be dispelled
and attitudes changed.
Work at the international level is
equally important, as the UN experts who monitor
human rights at the behest of States can legitimize
the demands of advocates and provide guidance to
governments. I strongly encourage you to make
greater use of the international human rights institutions,
ultimately for the benefit of the greater number
of rights-holders.
I also encourage human rights NGOs
to include sexual orientation and gender identity
in their agenda and to partner with LGBT NGOs to
advocate better protection of human rights for everyone. Civil
society will play an indispensable role in advancing
the reach and scope of human rights law, towards
the realization of a truly universal ideal.
I wish you
success in your work over the next few days and beyond, and look forward to
the outcome of this important event. I also wish, with you, for a better
and fairer world.
Merci
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